Temoins de vie, le courage de vaincre*
Jeudi 6 aout./ Leon, Nicaragua.
Depuis que j'ai pris la route vers le sud des Amériques sur mon beau destrier a pédales, mes journées ne se sont alimentées que de soleil et de rencontres. De belles rencontres. Locales, bienveillantes et joyeuses.
A travers les miles infinis des terres guatemalteques, honduriennes, salvadoriennes ou encore nicaraguayenne, j'ai connu des personnes qui m'ont pris en amitié, et raconté un bout de leur vie, le temps d'un instant, au bord de la route -entre moteurs et fumee carbonique- ou bien dans l´intimité, autour d'une tasse de café fumant.
Avec spontaneité, nostalgie ou quelques trémolos d'emotions, les épisodes remémorés sont parfois durs, parfois agréables...mais toujours signifiants.
Je vous dresserai trois tableaux, trois portraits d´êtres brillants qui m 'ont porté loin dans la richesse des échanges et des mots.
Leur parole temoigne d'une force de vivre édifiante, preuve que l´homme est bon et toujours chargé d'espoir.
Patricio, La palma, Chaletango, Salvador
J'étais au Salvador depuis deux heures. Il faisait 45 degres avec un soleil de plomb. Mon front n'en finissait plus de perler de sueur mais la petite ville de la Palma m'enchantait tant de couleurs et de sourires que je décidai de déguener mon appareil et de capturer tous les jolis poteaux pinturlurés sur le bord de route. Il me vit a l'ouvrage et engagea une conversation, tout naturellement. Une heure plus tard, nous partagions une pizza pendant que je le bombardais de questions. Je crois qu'il etait un peu nostlagique.
"Il y a neuf ans, mon frère m'a proposé de venir le rejoindre au Etats Unis. Il avait un plan job pour moi et pourrait me loger quelques temps. Ici, cétait la misere, je gagnais des clopinettes et l'idee de gagner 125 dollars la journee ne m'etait vraiment pas desagreable. En vrai, j'en revais toute les nuits.
Alors j'ai emprunté de l'argent et j'ai payé un coyote - un passeur- pour rejoindre les States. On a mis plus d'un mois pour tout traverser. On se cachait tout le temps. Le coyote nous fournissait les repas, les fringues, les endroits ou dormir... Une fois la bas, j'ai tout de suite trouvé du travail dans le batiment. Meme sans visa, ca embauche sans probleme. La vie etait bien, on ne travaillais pas le dimanche, je pouvais aller me promener, visiter...
Au bout d'un an, je commencais tout juste a apprendre un peu l'anglais lorsque les flics sont arrivés chez moi, ils mónt passé les menottes tout doucement et j'ai eu droit a 2 mois de prison. Comment c'etait? tres tranquille, on etait bien nourris, on lisait, on jouait aux cartes... c'etait pas desagreable! Ensuite, je suis rentré au Salvador, ma mere est venue me chercher. Si je pouvais y retrourner, je le ferai sans reflechir. Mais aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile de passer la frontiere. Mon frere s'est aussi fait deporter. Il en a pris pour six mois. Mais des qu'il est sorti de prison, il est reparti aux States. Il y a des gens qui y sont depuis plus de 30 ans et qui sont toujours dans l'illegalité.
Aujourd'hui, j ai quarante ans, je suis celibataire et je ne possede rien. Ni maison, ni voiture, ni terrain...je travaille car j'aime ca. Mais je n'ai rien."
Marvin, San Francisco Gotera, Salvador
Il etait 17h. Il me restait une heure pour faire 20 km avant que ne me surprenne la nuit. Je filais tout droit, bien elancée comme une roquette lorsqu'il est arrivé a ma hauteur sur une belle moto brillante style Davidson. Il a ralenti pour se caler sur ma vitesse et a relevé sa visière. Un grand sourire a fait surface sur ses lèvres: " Hey! d'ou viens tu comme ca?" me demande t-il. "Encore un curieux un peu bagaud qui veut mínviter chez lui ce soir!". me dis-je, un peu sur mes gardes, mauvais esprit... Je ne m'arrete pas et lui réponds sèchement que je comptais m'arreter a Jocoro ce soir pour pénetrer l´Honduras le lendemain matin. Un camion se rapproche et klaxonne fort- manquant d'assassiner mes tympans, ce qui me vaut de proposer a mon acolyte de s'arrêter papoter sur le bas còté.
Ce type lutte pour son pays dont il connait bien les failles et les moindres entourloupes gouvernementales. Critique, mutin et frondeur, il mouline ses mots avec éloquence et une grande rhétorique. A 19h, j'ai repris la route.... dans la nuit la plus obscure.
" Je suis flic depuis plus de 20 ans. Ici, tu roules sur la Ruta de la Paz, la route la plus tranquille du pays. C'est ici que circulaient les guerillos durant la guerre civile de 1979 a 2000. C'est une guerre qui a opposé le peuple aux riches pendant plus de 20 ans. Les USA -les gringos, comme ils les appellent, on les déteste. Ils ont soutenu les riches en leur donnant des armes. Ils nous ont completement acheté comme ils ont acheté Puerto Rico ou Israel. Ils se cherchent des petits protegés qu'íls brossent bien dans le sens du poil pour ensuite les spolier en douceur. Qu'est ce qui les interessent tant au Salvador? ....c'est simple, il y a de l'or plein les montagnes coté Honduras...pour acheter notre soumission, ils nous ont offert de magnifiques routes en béton toute propre! Thank you United states...
Il y a cinq ans, le colon a disparu au prodit du dollar americain. Ils nous ont pas demandé notre avis sur l'affaire...pas de referendum, rien. Ils nous ont poliement affirmé que le commerce serait plus facile pour le pays. Mon kilo de bananes que je payais autrefois un colon me coute un dollar aujourd'hui- c'est a dire huits colons. Et mon salaire est le meme depuis cinq ans....Au Salvador, les travailleurs moyens gagnent environ huit a dix dollars par jour. C'est juste assez pour se payer de quoi manger. Les petites economies n'existent pas, pour nourrir les enfants, il faut travailler tous les jours sans relache, et prendre des congés est juste impensable!
La délinquence dans ce pays est a son paroxysme...on est bon qu'a produire de la violence. Pourquoi personne ne s'insurge contre le gouvernement? parce que pendant soixante ans, le gouvernement a abruptisé le peuple en le galvanisant de telenovelas et programme paillettes a la television. De quoi baigner les cerveaux dans un liquide de non reflexion totale...de plus, l'education est si mediocre que la majorité des jeunes la quitte avant seize ans. Ils ne sont pas habilités a opiner et revendiquer des droits qu'íls ne soupconnent meme pas. Alors le peuple est inactif, oisif, perclu, somnolent. La conscience sociale est absente de notre societé...je le deplore."
Liliane, Leon, Nicaragua
En déambulant dans le bazarre urbain de Leon, je m'arrete acheter un elote- un epis de mais grillé. Elle ravivait les braises avec un bout de polystyren sur un fond de cumbia que crachait les enceintes du stand. Je me suis assise sur le rebord du trottoir pour deguster ma collation. Elle a pris place a mes cotés et m'a devisagé. Elle avait de beaux yeux bleus rieurs et taquins, un sourire presque berchu et des cheveux roux attaché par un crayon.
" Moi j'aime mon pays parce qu'on est un peuple heureux. Mais cette vie n'est vraiment pas evidente. J'ai huit enfants. Si je travaille nuit et jour, sans solde, c'est parce que je veux qu'ils aillent a l'ecole et qu'il passent le baccalaureat. Mais le gouvernement ne nous aide pas. L'uniforme et les fournitures scolaires sont a notre entiere charge et il faut en outre payer les repas quotidiens des enfants! heureusement que j'ai ce petit commerce dehors avec mon fils... on vend des fruits, des cigarettes, des biscuits et des elotes...on met de la musique pour attirer les clients et puis pour egayer nos journees!
Je voudrais réparer mes dents mais je n'arriverai jamais a payer car ca coûte beaucoup trop cher..."
(...)
Puerto Escondido, la mecque du surf*
15 juillet 2014./ Oaxaca, Mexique
Derriere Oaxaca, a quatorze heures de bus a travers la sierra gorgée d'humidité gît "le petit port caché"...
Quand je suis arrivee, je me suis dis que je ne tiendrai pas plus d'une semaine ici...c'etait bien plus grand et plus peuple que ce que je n'avais imagine. Et puis j'ai tout de suite trouve ce travail dans une espece d'auberge de jeunesse babacoule tout de bois et de coco a dix pas de la plage la plus tranquille de la zone, et le temps s'est transforme.
Ici, l'epoque est encore a la construction et a l'expansion touristique. Imaginez des sentiers battus, de la terre argileuse, des moustiques qui vous devorent la peau des jambes, des manguiers et des plantes qui poussent de tout cote. Lorsque les premiers conquistadors espagnols ont debarques, voyez les sur leurs chevaux, machetes en main, tentant vaillement de se frayer un chemin a travers cette monstre jungle...
Mais Puerto est le spot number one du surf au Mexique. Encore timide et peu mise en valeur, certains certifient que les vagues y sont encore plus grandioses que celles d'Indonesie, d'Australie ou d'Hawai. Le mois de novembre est le meilleur moment pour surfer. Chaque annee y sont organises des championnats qui rameutent un beau gratin d experts et vous offrent un spectacle dont vous vous rappelerez! Jay Adams etait parmis nous la semaine passe...la soixantaine mais le pied encore souple!
Les passionnes de la glisse affluent de toutes part. On rencontre beaucoup d'argentins, de californiens et d'australiens et pas mal d'europeens en ete.
Les vagues sont vraiment particulieres. A Zicatela, le drapeau de baignade est toujours rouge et les vagues forment des tubes incroyables qui s'ecrasent dans l'eau dans un bruit de tonnerre. Il y a des lifeguards tous les 30 metres qui surveillent depuis leur tour de controle. A la Punta, l'autre extremite de la plage, la mer est aux debutants et aux nageurs modestes. Rien a voir avec la Mediterranee, les vagues vous emportent dans un tourbillon qu'il est difficile de maitriser. C'est plutot dangeureux... il suffit d'une fois et vous n'osez plus trop aller faire trempette! Vers les rochers, a cinquante metres du bord, on peut observer a toute heure de la journee un amas de surfers qui attend calmement la vague avant de se guincher comme un i sur la planche. C'est le spot fetiches des debutants.
En journee, a cause de la chaleur torride et de l'absence totale d'ombres, la plage est vide. Seuls quelques illumines du footing, de la meditation et du yoga viennent l'occuper tot dans la fraicheur du matin ou vers 19h, lorsque le soleil se noie derriere l'horizon dans un jus d'orange canenele...
En verite, depuis l'evolution du surf en tant que sport, Puerto s'est metamorphose et a subi un vrai bump social, industriel et economique dans le but de repondre a la demande des surfeurs. Les habitations ont pousses comme des champignons, refermant toute entiere la cote qui longe la plage Zicatela. Il y a des hotels partout, des restaurants, des bars et compagnie....tout pour amuser la petite galerie. D'ici la dix ou quinze ans, il n'y a pas de doutes, Puerto sera un monstre indutrio-touristique comme l'est devenu Acapulco. Pour le moment, admettons que le petit port se transforme doucement en une veritable ville... pour certains, les opportunites de travail sont explosives, tout est encore a construire!
Malgre cette avancee alarmante, ce qui est chouette ici, c'est que rien dans les moeurs et l'art de vivre n'a change. On se salue les uns et les autres, sans exception d'origine, de couleurs ou de languages, on peut se promener en bikini, nus pieds ou que l'on aille ou qu'on soit...le sourire et l'humour sont tres contagieux! et le mot d'ordre n'est ordre que; DETENTE. C'est un vrai repere de babos, comme dirait certains...on y mange vegetarien, on peut se faire masser, pratiquer le yoga, se faire tatouer pour trois pieces, faire du jonglage dans la rue, des bracelets, et puis surtout.....faire la fete!
La nature est grandiose. Pas besoin d'aller au marche faire vos courses, au coin de la rue vous trouverez des limes (citron vert), des mangues, des guarabanas et des prunes a foison. La moringa est aussi un arbuste dont les feuilles, consommees en jus ou en infusion sans moderation vous apporteront plus de calcium que n'en contient un verre de lait, plus de vitamines A qu une carotte et j'en passe...C;est une plante super a la mode ici, tout comme la spiruline. Si vous trouvez un crabe dans votre chambre, ne vous alarmez pas, car vous trouverez sans doute une blatte sous votre oreiller, des fourmis termites dans votre frigo et des guekos sur vos murs.... sur la plage aussi, il n'est pas rare de trouver une tortue, une raie manta ou un diodon holocantus echoues et asseches par le soleil, qui feront une sympathique petite balle de jeu pour les chiens errants du coin!
A Zicatela, entre mes tentatives de surf et mes heures perdues, je passais pas mal de temps avec mon ami Vaquerito, un ptit gars de 20 ans qui est ne dans le Pacifique, se nourrit dans le Pacifique et ne concoit pas une journee reussie sans s'y tremper les pieds. Il vit sous une palapa, une cabane faite de feuilles de palmier sous laquelle il y loue des buggyboard et des planches de surf et vend quelques jus de coco qu'il va fracihement cueillir au petit matin avant le travail. Il n'a pas de famille, pas de parents, pas de freres et soeurs, mais plein d'amis et de gens qui l'entourent et le rendent heureux, Il a sa chienne aussi, Africa, qui ne le lache pas d'une once. Parfois il prend une pause, pour aller regarder la coupe du monde de football dans le bar d'a cote, ou simplement pour aller pecher sur les rivages de la Punta sur une grosse planche de surf de 30 kilos en se laissant porter par le courant....le reste du temps, il se laisse vivre, absorbant la joie du soleil et le repos du chant des vagues incessant... il a un sourire et une joie de vivre qui ne le quitte pas. Il est ironique, integre, affectueux, deternine. Le soir, il dort a meme le sable encore chaud, dans la moellesse des grains de pierre et il est heureux,
Je lui ai loue un buggyboard pour 400 pesos la semaine, je lui ai appris un jeu de des, il m'a enseigne comment magner la machete pour ouvrir une noix de coco. Il va me manquer.
Plus loin j'ai rencontre Silvano, un des lifeguards de la Punta. Tous les matins, je me haussais sur la tour de controle et restais quelques instants papoter avec lui, de la vie, de tout, de rien. Lui, c'est un gars qui en a bave. Enfants de la rue, il a perdu ses parents dans un accident de voiture. Il a 15 freres et soeurs mais n'en connais que 3. Il n'a jamais ete a l'ecole. Son ecole, c'etait celle de la rue, Il y a appris a se frayer un chemin pour survivre, gagner un peu d'argent et se nourrir. Il a commence par vendre des colliers sur la plage, puis des parasols pour les touristes. Il a ensuite travailler pour une dame au marche de Puerto, ils vendaient des fruits. Plus tard il est parti chercher une vie meilleure a Acapulco, mais il n'a pas supporte le stress de la ville. Alors il s'est refugie dans l'alcool, la drogue et dans tous ces mots pas tres glorieux, Il s'est laisse vivre, la rue l'a consumme, petit a petit, epuise. Jusqu'a ce qu'il touche le fond et qu'une porte s'ouvre a lui. Celle de sauver des vies dans l'ocean. Il a passer les tests, les examens...il fallait etre en bonne sante, bonne forme physique et savoir nager. Il a arrete les drogues. Pour un salaire de 3200 pesos au mois, sa motivation n'avait d'egale. Aujourd'hui Silvano est un homme tranquille et heureux, La plage est sa maison, son refuge, son travail et sa famille. La mer est sa compagne, Il en connait chaque particularite, chaque detail, il connait son caractere et ses humeurs, il sait anticiper ses mouvements. Il lit en elle comme dans un livre. "- Dans une heure, la maree va baisser, tu veux passer de l'autre cote?" me demande t-il. L'autre cote, c'est la plage derriere celle la Punta, Pour y acceder, il faut passer souis des arcs de pierres et se faire lecher par quelaues vagues avant d'arriver sur une plage vierge des plus merveilleuses. Je dis oui, toute emoustillee. On marche pendant quatre heures, sans s'arreter, sous le soleil de plomb jusqu a atteindre le grand fleuve qui se jette dans la mer. On rencontre les pecheurs, on observe les grues et les pelicans et on se fait surprendre par la nuit noir.
Sans meme un peso dans la poche, on rentre comme des clandestins, sur le grand axe routier, pied nus au milieu de la route. La police nous arrete, nous controle, nous fouille. Forcement, on a rien, On me confisque mon couteau opinel. Je vais pour reepliquer mais le chef de la bande entend deja mes arguments et me le redonne.Depuis, je passe voir Silvano tous les jours.
Mes tentatives d'apprentissage du surf sont loin d'etre abouties et la route m'attend plus loin. Je quitte Puerto, le coeur serre, je me suis fait des amis en or, une routine de vie au gout du paradis... mais comme tous disent ici: ' Dont worry man, on revient tous un jour a Puerto! ...'
Oaxaca, indigene mais moderne.
27 juin 2014./ Oaxaca, Mexique
On ne m'avait pas menti. Oaxaca vaut le détour. C'est une ville qui a un charme de folie. Je devais m'y arreter deux jours seulement, voila bientot une semaine que j'y suis. Ici, entre couleurs, ciel bleu, alégresse et traditions, la ville vous adopte rapidement et vous y fait sentir chez vous. Un mélange de racines coloniales et de modernisme extremement developpé, qui explique la présence de tant de touristes d'Europe et des Etats Unis.
Ma premiere immersion dans le centre a ete super émouvante. C'est perclu de monde. Il y a des ballons, des magasins volants, des gosses qui courrent, des couples qui s'embrassent, des hippies qui font du macramé, des cyclistes, des musees, des papas fritas qui fument, des glaces bien fraiches qui allechent, des musiciens, des tissus, des broderies, de l´artisanat de tout coté... On ne sait plus ou donner de la tëte. Mais tout est organisé. Il n'y a pas une once d'opression qui se fasse ressentir. Chacun est le bienvenu.
Je déambule comme un Arthur Rimbaud errant avec ses semelles de vent. Je flane. Je veux tout decouvrir. Les gens me sourient.
Je m'arrete papoter avec des "chavos" (des jeunes, en mexicain) qui vendent des bracelets en macramé. Je les regarde faire, j'apprends et je repars avec un sac de cadeaux. Plus loin, je rencontre Roberta. Elle etait assise sur le bord de la rue pietonne avec ses jolis dessins azteques sur ecorce d'arbres. Elle attendait. Elle etait curieuse de tout et je sentais chez elle une relle envie de rencontre et d'echange. Je me suis assise avec elle et je lui ai fait la causette pendant un bon moment. Roberta a 32 ans, elle est mariee et mere de deux filles. La plus grande a dix sept ans, elle l'a donc eu a ses quatorze ans. Elle n'a jamais etudiee, ses soeurs oui. L'une est chef cuistot, l'autre ingenieur, dans l'etat de Guerrero. Roberta est arrivee a Oaxaca il y a quinze ans avec son mari. Ils ont fuient Acapulco, la plus grande ville balneaire du Pacifique, crade, polluée et bruyante. "Notre premier point commun" je lui dis. Ils vivent dans la sierra, un petit village reculé dans les montagnes. Elle est bien ici. Sa vie, c'est l'artisanat. Elle peint, son mari fabrique le papier a base d'écorce d'arbre. Apres l'ecole, sa fille vient l'aider a vendre dans les rues du centre de Oaxaca. Elle aurait pu etudier, mais elle ne voulait pas. Elle prefere peindre, creer, modeler. Elle pensait que la France était a coté des Etats Unis.
Dans la péripherie, je me régale de trouver des pistes cyclables vertes, bien tracées et des panneaux de route demandant le droit de passage des cyclistes sur les automobilistes. Une victoire. Je croise beaucoup de gens a vélo, ca fait tellement plaisir! je me dégote un vtt et je pars tout droit a l'Est en direction de Tule, un petit village tout mignon qui a un fort potentiel touristique en raison du fait qu'il detient un des arbres les plus vieux au monde (2000 ans), toujours vivant, dont le tronc mesure 42m de circonference! il est sacrement impressionant. On dit qu'il faut environ trente personnes se prenant main par la main pour en faire le tour complet. Il est tellement gros que je n'ai meme pas pu le faire rentrer dans ma boite a photos. Voyez donc par vous meme sur google images!
En retour, je goute les fameux "raspados" qui sont de delicieux sorbets de fruits un peu crémeux servis dans un grand verre en plastique avec une paille et bourré de glacons. Il y en a pour tous les gouts: coco, ananas, noix, citron, tuna, etc. C'est un jeu d'enfant d'en trouver, il y en a a chaque coin de rue! vous les achetez a la volée sur des magasins volants (bicyclette bricolées), tout comme les hamburgers, hot dog, papas fritas maisons blindées de chile (piment) ou encore les esquites, des épis de maïs grillés servis avec du fromage et encore...du chile!
Au Mexique, l'an passé, 80 000 personnes sont mortes du diabete. Le chiffre est énorme. Enfait, il y a reellement un probleme d'obésité du a cette abondance et omnipresence de nourriture, de surcroit pas toujours très saine...ici, la vitamine la plus consommée est la vitamine T: tortilla, tacos, tequila, tlayudas, torta...et toujours accompagné de coca ou autre boisson sucrée! les mexicains ne sont pas les champions de la marche et du sport ni non plus de la regularité. Ici, il n´y a jamais d'heure pour manger...quand on a faim, on mange. Bref, ne cherchez pas d'ou vient la jolie bedaine mexicaine! Pourtant, je rencontre Samantha qui tient une boutique d'une filière de produits bio. En espagnol, on dit "organique". Elle m'explique que de plus en plus de gens prennent conscience de la surconsommation de produits chimiques mauvais pour la santé et l'environnement et qu'il y a une poussée non negligable du mouvement vegetarien. Mais au Mexique, le bio n'est pas cher. Dans la majorité du pays, les produits viennent encore de la terre du petit paysan qui désherbe a la main et prie pour faire venir la pluie.
En me balladant dans les abords du zócalo (la place du village), je rencontre Adelfa et son fiston Omar. Ils viennent d'un petit village perché dans les collines a une bonne demi heure d'ici. Omar va a l'ecole le matin jusqu a 14h, sa mère l'éleve seule. Ensemble, ils parlent le zapoteca, une langue indigène parlée encore par plus de 400 000 oaxaqueños. Ils m'apprenent quelques mots. On mange des chips, je leur fais des massages de mains, on se prend en photos et on se quitte en s´échangant nos numéros et en se prenant dans les bras. C'était une belle rencontre. Simple, tendre et rieuse, comme je les aime.
Pour mon dernier jour a Oaxaca, je sors avec les copains danser la cumbia. En milieu de soiree, une grosse pluie nous assomme. Il pleut si fort que l'eau tombe a cascades a l'interieur du bar et provoque un lac dans lequel on aurait presque pu se baigner! on se fait evacuer. J'aurais eu le temps d'immortaliser ce moment!
Puebla, la dolce vita!
A Colola, le temps n´existe pas*
28 mai 2014 / Colola playa, Michoacan, Mexique.
Il a fallu que je zoome plus de neuf fois sur Google Map pour situer ou se trouvait Colola. C'est un petit village mexicain au bord de l'eau salee ou la farniente et la tranquilite sont les maitres philosophes de ses habitants. A vol d oiseau, le Japon n est plus tres loin.
Le monsieur du bus nous a laissé la, au milieu d une grande route en beton toute droite dont on ne voyait pas le bout. On se serait cru en Australie, ou peut etre plutot au Burkina Faso. Des maisons d'infortune, ca et la, de moellons rouges pas encore fini, des cactus aussi grands que des arbres, et puis de la terre, qui se souleve avec le vent, partout.
On traine nos vieux os cinquante metres plus loin au camp de tortugueros ou nous attendent deja une dizaine de chavos du monde entier. Pendant deux semaines, notre mission est de sauver (du moins d'essayer) les bebes tortues d'espece 'negras' et 'golfinas' en danger d'exctinction, dont le lieu de reproduction s'etend sur toute la cote Pacifique, mais avec un pic de concentration particulier sur la plage Colola. Chaque nuit, des que le soleil descend se cacher derriere l ocean, il en arrive des wagons par dizaine ou centaines. Les mamans tortues rejoignent la plage et cherchent le meilleur endroit pour creuser leur nid, un trou de 70 cm dans lequel elles pondront leur precieux oeufs. Ceux ci ressemblent ni plus ni moins a des balles de ping pong, meme diametre, meme couleur. Elles pondront entre cinquante et cent vingt oeufs qu'elles tacheront de bien recouvrir avant de s'en retourner dans le Pacifique, et revenir quatorze jours plus tard pour pondre a nouveau. La periode de ponte des negras s'etend surtout de aout a fevrier, mais il en arrive toute l annee. Les golfinas, plus petites, sont plus rares. Elles preferent d autres plages avec un autre type de sable.
Chaque nuit, c'est un spectacle d'emotions. Sous le clair de lune et le chant des vagues qui nous invitent deja au sommeil, il faut chercher les mamans, toujours etonnantes par leur taille (environ 1,50m), attendre qu'elle aient pondues pour ensuite recuperer leurs oeufs et aller les renterrer dan le 'vivero', un lieu secure ou naitront les bebes tortues cinquante jours plus tard.
Sur mille tortues, on estime qu'en survivra seulement une. Les autres, dans leur course effrenée vers la mer se feront devorer par les mouettes, les chiens errants ou meme les crabes. Il faut l'avouer, nous ne sommes pas des super heros. On ne les aide que sur la premiere étape d'essai a la vie. Il faudra encore qu'elles arrivent a dejouer les predateurs marins qui n'en feront qu'une bouchee.
Sur le camp, chaque nuit, travaille une equipe de 30 hommes et femmes, tous habitants de Colola. Ils sont volontaires et militent pour la survie de ces merveilleux reptiles. La bas, je rencontre Lucas, le representant des tortugueros. Il a 32 ans, il est marié, sans enfants. Timide, un brin sauvage, il a l'oeil malicieux et une furieuse passion pour la vie qu'il mene. Des le premier soir, il me raconte toute la vie des tortues et son boulot. Il maitrise le sujet sur le bout des doigts. "Imagine toi, le campement il y a encore trois ans, il n y avait rien. Grace aux aides gouvermentales, on a pu acheter un quad pour circuler plus rapidement sur la plage, installer des vraies toilettes a fosses septiques, des douches, des lits et un panneau solaire pour amener l electricite...bientot on va pouvoir accueillir de nouveaux volontaires tout au long de l annee pour nous relayer dans la protection des tortues!"
Le reve de Lucas, c'est ca. Il aime profondement l'ennivresse du vent, la quietude de la plage, la douceur du sable, le chant de locean et la valse quotidienne des tortues...mais que Colola devienne un lieu ou s agglutineront bientot les touristes en masse apportant des capitaux financiers importants lui importe davantage. Car dans quelques annees, Colola beach sera un centre ecotouristique les plus fameux du Michioacan et peut etre meme bien du Mexique. Eh oui, tout a deja ete pense. Lucas en a les yeux qui petillent. "Tu vois, la on construira une cafeteria ou on vendra des refrescos, du cafe et des cartes postales en souvenir. On interdira aux volontaires de prendre des photos. La, il y aura les salles de reunion, un espace internet avec le wifi et puis ici le garage pour le quad."
Seulement, a Colola le rythme de vie est regi par le style du "ahorita". C'est le mot de bouche qui sort toujours en debut ou fin de phrase et qui pourrait signifier "maintenant, tout de suite" ou peut etre "dans 3h", "tout a l'heure" ou encore "demain". Bref, en d'autre terme, a Colola, il ne faut etre presse de rien, sur rien. Car la vie ici, la regit le soleil. Quittez vos montres, l'heure ici n'existe pas et le telephone non plus. "On s oriente dans le temps grace au posititionnement du soleil et aussi avec la temperature du sable", m'explique Lucas. Je pose ma main a son instar sur le sable encore chaud. "Tu vois, la, il doit etre pas loin de 18H". Je sors ma montre, il est 18h05. Et bim!
Pose toi dans un hammac et relájate!
Leo est aussi une tortuguero. Elle s'est engagee comme volontaire depuis deux ans. Elle ne parle pas l anglais mais comprend quelques mots, ca et la. Ce qu elle reve, cest de se marier a un europeen et davoir une meilleure vie que celle qu elle mene ici.
Darisnet lui, est bien tranquille. Comme la majorite ici, il travaille au champ la journee. Il cultive le mais et ramasse les mangues et noix de cocos. Le reste du temps, il vient fumer sa "mota" sur le bord de mer avec les copains ou sous les etoiles en compagnie des moustiques. "Dans cinq ou six ans, je vais construire ma maison. Elle sera sur le sable, face a la mer, de couleur orange et bleue. Quand tu reviendras, tu seras la bienvenue, mi casa es tu casa".
Enfin je rencontre Beni. Un petit gars de 21 ans, toujours souriant, curieux de tout, bien habille, propre, communicatif et devoue au plus grand nombre. Cest un bon gars. Je jonglais sur la plage lorsqu il ma accosté. il voulait apprendre. Le lendemain j etais chez lui a le regarder fabriquer a la disqueuse une petite tortue en noix de coco sur un gros son de techno des 90ies a 110 decibels. Jetais hallucinee. Lui, totalement concentre. Plus tard, apres une partie de des et une agualoca (la tequila), il mexplique qu il est bien ici, que ses parents lui ont laisse cette maison pour ses 18 ans, qu` il a 10 freres et soeurs dont il ne connait pas l age et qu il aimerait apprendre l anglais et aussi la mecanique. Entre deux blagues, je lui enseigne quelques mots d anglais et je me desole de penser que cest de la folie de vivre toute sa vie a Colola. "Ici, il y a des fois ou tu t ennuies mais moi je me sens toujours bien sur la plage".
Bon sang, sans internet, ni telephone dans un village de 700 habitants, il faut en avoir de l'imagination pour ne pas s ennuyer¡
Ca me rappelle ce fameux proverbe africain qui dit aux europeens: "Vous, vous avez l heure, nous on a le temps."
Il y a toujours plein de monde chez Beni. Cest ouvert, il n´y a ni clé, ni serrure. Il dort sur un vieux lit poussiereux entre quatre murs de beton et une table sur laquelle sont posees des enceintes. Cest tout ce que contient la maison. Il mange dehors ce que lui offre la nature. Chaque mois, il doit payer l'electricite; 100 pesos et l'eau a peu pres au meme prix. Bientot, il pourra construire sa propre maison.
Le mot de la fin:
Si l'experience cololesque vous taquine, si vous avez envie de faire joujou avec les tortugitas, si vous avez envie de couper avec votre traintrain quotidien, ne cherchez pas plus d'infos sur internet et gardez vos sous, une fois au Mexique, prenez un bus et pointez vous a Colola, on vous y attend deja...!
http://vivemexico.org/blog/proteccion-de-la-tortuga-marina-en-colola-michoacan/
* Bientot Colola, le reportage video!
La Borie Maigre, la terre en héritage*
10 octobre 2013 / Réalmont, Tarn.
Ils font partis de ces gens qui ont compris que l’argent ne fait pas le bonheur.
Que pisser dehors n’a rien de suranné. Que vivre loin des villes entre les fougères n’est pas synonyme d’isolement. Ou encore que bûcher pour vaincre le froid d’hiver n’est pas un fardeau ni une perte de temps.
Bref, vous l'aurez compris, Odile et Jéremie sont des gens sans soucis, sans chichis. Des gens simples.
Eté 2009. Ils sont arrivés avec un rêve en tête. Un projet commun. Celui de vivre simplement, avec la nature, et de cultiver la terre, comme le faisaient nos ancêtres.
Quelques bibelots de fortune, un clep et deux chats de gouttières dans les bras, ils ont posés leurs valises à la Borie Maigre, tout près de Réalmont, dans ce quiet trou de campagne du Tarn. Là, entre fougère et bois, ils y ont construit une maisonette pour abriter chambre et salle de bains, accollée à une jolie yourte à isolation de feutre pour le salon et la cuisine.
Le jardin? "tu traverses la petite route, et tu y es. Tu as un hectare et que des légumes! " m'explique Jérémie.
Je m'approche, dépasse les champs de patates ocres et aérés puis atteinds les deux grandes serres où la température avoisine celle d'un après midi thalaidais en bord de mer. Là dessous, c'est un vrai camps d'émmigrés: tomates, épinards, radis, aubergines, panais....je ne les connais pas encore tous, mais je fais leur connaissance en un tour d'oeil. " Alors là tu as des apiacées, ici des liliacées et puis là des solanacées"....
Jérémie me parle de ses légumes comme ils me présenterait ses enfants. Ils les connait et les aime par coeur. Garantis 100% biologiques, 100% races anciennes, ils les nourrit juste avec de l'eau, du soleil et une terre bien amendée. En somme, pas de produits chimiques, pas de désherbant ni d'insecticide. Rien de rien. " J'ai fait un test cette année: j'ai mis de la laine de mouton au sommet des buttes tout au long du goutte a goutte pour étouffer les mauvaises herbes. Puis j'ai paillé pour isoler la terre et retenir l'humidité. En théorie, ca me fait un gain de temps pour le désherbage et l'arrosage."
On est mercredi. Demain c'est le marché bio à Castres. Il faut donc préparer la vente. A 9h, nous voici déjà en bottes, échine courbée, genou à terre, à arracher poireaux, radis, roquettes et tutti cuanti. Il fait beau, la terre est chantante, je crois qu'à ce moment là, on est tous super heureux de travailler, ensemble, au bon air. Etre au plus près de l'humus, ce saint père.
Puis on coupe, on lave, on arrange les légumes. On les bichonne. Il faut qu'ils soient les plus jolis possible sur les étalages. Un vrai concours de beauté!
Après la pause de midi, rebelote. C'est le temps de la patate. Les tranchées ouvertes, on remplit des sceaux par dizaine, en évincant les pourries. Parfois, on fait des rencontres surprenantes. On croise des araignées, petites, grosses, vert fluo, ou transportant des bébés sur le dos. Des carabes, noirs, verts, des lombrics aussi gros qu'un index, des cloportes, des staphylins, des scolopendres et toutes sortes de décomposeurs salutaires dont la présence rassurante est signe que la terre se porte bien.
Le lendemain, à Castres, la cloche de départ ouvre le bal des ventes. Il est 16h. 10 stands de produits bio se font dévaliser en moins de 2h. C'est la folie. Jéremie se fait arracher ses dernières tomates de saisons comme des p'tits pains en pleine disette communiste. Les cucurbitacées n'en disent pas autant. L'hiver est encore trop loin pour les soupes de potimarons et butternut.
" Vous n'avez plus de physalis? me demande une petite dame, toute penaude. - Non, c'est fini. Mais ils nous restent des cerises de terre". Je les avais cueillis les veille, une par une, à même le sol, sans me douter que j'y passerai une bonne partie de la journée. Les physalis, ce sont des tomates cerises jaunes au délicieux gout sucré et poivré, enfermée dans ce qu'on appelle vulgairement une "cage d'amour". Un incontournable! Cette varieté ancienne est très prisée, ce qui lui vaut un prix au kilo rarement en dessous de 13 euros. Quant à la cerise de terre, sa petite soeur, elle est moins demandée car plus petite et moins folle au goût.
A 19h30, la nuit taquine déjà et les clients sont rentrés s'atteler au diner. Jéremie remballe ses bouts de choux. Il a bien vendu. A la Borie Maigre, Odile l'accueille avec une bonne ratatouille du jardin et un petit feu de derrière les fagots pour adoucir les nuit. Sur le calendrier des tâches journalières, Jéremie efface les mots "récolte patates" et "marché". " Demain, qu'est ce qu'on fait? - Bof. On trouve toujours quelque chose à faire au jardin", me répond-il.
Vittorio, l'artiste expat.*
10 décembre 2012/ Halmeag,Roumanie.
C’est un artiste peintre italien, parlant francais. Un homme comme on en rencontre peut être tous les jours, me direz vous, mais pas en Roumanie. Du moins, pas dans un petit village de 150 habitants, perdu au fin fond de la Transylvanie.
Vittorio a tout quitté. Ses amis, son amant, sa belle Florence. Endetté jusqu’au cou, il a vite compris que rester au pays était une gageure et que son capital ne permettrait pas de lui assurer une retraite confortable. La solution : s’expatrier en Roumanie.
A Halmeag, il est arrivé là par hasard, la fleur au fusil, au printemps de l’année 2006.
« Cette maison, je l’ai acheté 15000 euros, raconte t-il , une bouchée de pain en Italie. J’ai une petite retraite, mais au moins ici, je vis comme un prince. »
Vittorio a une grande passion. Il peint. L’inspiration, qui ne l’a jamais quitté depuis son tout premier tableau, réalisé il y a 50 ans se poursuit ici, été comme hiver.
Au sous sol, son atelier s’est transformé en un vrai petit musée d’exposition.
Une dizaine de tableaux grand format se tiennent, bien droit, de par et d’autres des murs. Ca brille, ca chante, c’est chaud et festif…cette profusion de couleurs éblouissantes, ca me donne l’impression d’etre tombé dans un établi du carnaval de Rio.
On y retrouve des airs de Matisse, la naiveté de Picasso, quelques traces de Bacon (non, pas celui qu’on mange !) et puis je ne peux m’empecher de penser à Arcabas aussi, avec ce travail minutieux des couches de feuilles d’or. « Moi je dis que je fais de l’expressionisme coloré. Les couleurs, c’est le reflet de mon âme. »
Vingt secondes s’écoulent et je suis deja une grande fan du style Vittorio.
Je le tire par la manche, l’installe devant ses fresques et fait plusieurs photos.
L’émotion est grande, la certitude m’envahit. Bon sang ! il faut qu’on entende parler de cet homme !
A l’étage, Vittorio a complètement envahit les lieux par son art. Il a pris les murs pour des toiles vierges et y a accroché une telle quantité de tableaux, que l’on n’y voit presque plus le blanc d’origine. C’est un vrai bordel artistique.
« En ce moment, tu vois, j’ai une éspèce d’obsession pour les hippocampes. C’est un animal étrange qui vient souvent me visiter dans mon sommeil.»
Vittorio m’offre un siège et place dans mes mains une tasse de café soluble froid et dégeulasse. Pour un italien, je suis plutot deçue !
Il me montre son blog internet et sors quelque livres de ses grands admirateurs, entre autre Michelangelo mais aussi Mat Ppethope, le maitre photographe incontesté en matière d’art érotique.
Vittorio a des centaines de tableaux en stock dont la plupart son restés dans sa maison de Florence. Pas commercant pour un sous, il n’a jamais vraiment essayé de les vendre. Ce qu’il aimerait en revanche, c’est exposer.
« Ici, il n’y a pas de place pour la culture. C’est un pays trop pauvre pour s’ouvrir à ce genre de loisir. »
Vittorio me chuchote alors, que meme si le temps passe, il ne cesse de penser à partir. Son rêve, evidemment, n’etonne personne. Il est cher mais pourtant pas si loin, à vol d’oiseau. Ce rêve, il s’appelle Paris…
*
http://lapitturadivittorio.blogspot.fr/
Quand la terre se meuble...*
13 octobre 2012/ Morzinette.
Sylvie. C’est une femme forte et entrainante, avec des rêves et des projets encore plein le cœur. Des rêves qui la portent, qui lui donnent ce caractère indomptable et cette force de vivre rayonnante. Cette joie, qu’elle cultive au quotidien.
Sylvie a 50 ans bien révolu, trois enfants encore à charge, elle travaille de nuit comme aide soignante dans un centre de santé. Son mari est éleveur de vaches, ils vivent à Morzine dans un joli chalet construit de leurs mains. Avec les années, la routine s’y est installée. Douce et tranquille, elle passe, au fil des saisons.
En montant sur Avoriaz, à une heure de marche, y git le petit hameau de Morzinette à 1500m d’altitude. Ce sont huit chalets d’alpage, tout en bois, entourés d’un petit rien tout mignon : de silence, de vaches et d’herbes tendres.
Là haut, pas d’électricité ni d’eau, juste de quoi venir se ressourcer le temps d’un week end, en famille ou entre amis. Ici, les enfants y construisent des cabanes, font de la peinture sur les ardoises ramassées sur les contreforts, organisent des jeux de pistes, des parcours acrobatiques dans les prés, observent à la jumelle les chamois qui courent sur les falaises …vraisemblablement, Morzinette est un petit paradis. Et pas que pour les mômes : « Au moins, ici j’ai le temps. Parce qu’il n’y a rien a faire ! un petit coup de balai, une brin de vaisselle dans la bassine et c’est tout !» explique Sylvie. Il y donc a dans ce micro hameau haut-savoyard un goût de liberté infinie, et visiblement, ca fait du bien.
Ce petit chalet, à l’époque, c’était une bergerie. A ses 15 ans, Gilles en a hérité, sans savoir trop quoi en faire, mais sans jamais non plus le déserter totalement. Il l’a retapé petit à petit, avec ses économies et son savoir faire de bricoleur, en refaisant l’isolation des murs, en rebouchant les trous, installant des lits, quelques étagères, une table…
*
Dans la chambre du fond, emmitonnées sous les grosses couettes en plumes - pour se tenir chaud, les enfants se sont disputés quelques partis de cartes, sous l’inépuisable existence lumineuse d’une jolie bougie de cire qui rapetissait à vue d’œil.
Les adultes eux, affairés autour du vieux poêlon déjà fumant, se racontaient les derniers cancans savoyards et autres blagues de bon goût, autour d’une bonne bouteille de Sauvignon. A 20h30, on n’y échappe pas, la fondue d’abondance (sublimée d’un chouia de gnôle pour « honorer la tradition ») inonde les papilles et se déroule activement entre rires, broderies, blagues et chansons. Il ne fait pas chaud ce soir c’est sur, mais en hauteur, l’amitié diffuse cette chaleur incroyable qui vous fait oublier tout inconfort physique.
Plus tard, dans la nuit, arrive le temps de la tisane et des confessions. Alors Sylvie raconte : « On a un projet avec les filles- Perrine et Justine, ses deux dernières-. On voudrait créer une espèce de petite ferme pédagogique familiale pendant l’été qu’on appellerait « La ferme de Morzinette ». Pendant trois mois on ne redescendrait pas, on vivrait là haut. On y aurait une vache, deux-trois chèvres, des lapins, des poules et un petit potager. Les randonneurs, enfants comme adultes et qui sont fort nombreux sur cette période, seraient invités à participer à l’entretien des animaux (ramasser les œufs, traire, nourrir…) mais aussi du potager et puis ils pourraient faire de la peinture, ramasser des myrtilles, construire des abris, etc. J’aimerais bien aussi animer des stages yogas l’après midi pour les adultes. »
Ca y est. J’ai les yeux qui brillent d’envie et le cœur qui bat déjà la chamade. C’est un projet radieux. Merveilleusement chouette. Un projet comme il devrait y en avoir plus.
C’est cet infini respect et cette insatiable harmonie avec la nature que j’aime tant chez Sylvie. Une personne simple et humble, qui a réussi à ne pas se faire entraver par la société « high tech » et complètement assistée du 21e siècle. Une personne qui refuse la paresse du canapé, l’individualisme du travail et l’oubli des valeurs traditionnelles.
Simplement quelqu’un de vrai, qui n’oublie pas que la Nature est toujours plus forte.
Nicodème, les disciples du coeur*
12 octobre 2012/ Grenoble.
Dans les évangiles, c’est un fervent disciple de Jésus. Pour l’ethymologie grecque, c’est la victoire du peuple – "niké", victoire et "démos", peuple. Pour les dyslexiques, enfin, ce pourrait etre un roi de Bithynie, ou un mathématicien grec du 3es et même encore une tragédie de Pierre Corneille.
Eh bien à Grenoble, sur la petite place Claveyson, mitoyen au jardin de ville, c’est en réalité un café. Juste ça. Mais attention, pas un de ces cafés comme on en trouve à chaque coin de rue. Nicodème, mesdames, messieurs, c’est un café associatif. Un lieu d’accueil et d’écoute. Un lieu on l’on vient se remplir le ventre le midi pour le prix de 4 minis-portraits au photomaton. Des « petits prix mais de la joie » comme ils disent.
Depuis 20 ans que Nicodème existe, entre temps, le bébé à bien grandi. Initialement service au croque monsieur et sandwich blanc/beurre pour dépanner les étudiants sans le sous, c’est aujourd’hui un vrai petit restaurant, convivial et chaleureux, géré par une soixantaine de papies et de mamies qui se passent la main, sans relâche du lundi au vendredi.
Chez ces femmes, présentes en majorité (des étonnés?), je ne ressens pas de peur ni de trace de ras le bol. Juste une furieuse envie d'aider.
" A 9h30, on est d'attaque: il faut faire les courses pour les repas et préparer à manger pour le midi." m'explique Anne Marie, la présidente.
Nicodème connait bien les bons tuyaux. Travaillant main dans la main avec les commerces de proximité et les associations de solidarité, la nourriture est majoritairement offerte part la Banque alimentaire, et le boulanger de la rue d'en face participe à l'entraide en appliquant une petite ristourne de 20% sur le pain.
Le service dure de midi à 13h30 pour laisser place ensuite aux jeux et aux discussions. " Les gens ne viennent pas uniquement pour manger, ils cherchent surtout à nouer du lien social, raconte Gisèle. Après les repas, on est beaucoup à l'écoute des uns et des autres. On joue presque les psychologues."
Ce midi, au menu: salade nicoise en entrée, suivi d'un succulent rôti de porc accompagné de son gratin de chou-fleur. Les clients ne font pas grise mine. Au contraire, rien n'est laissé dans les assiettes. "Pour certains, c'est leur unique repas de la journée" me glisse une bénévole, comme si c'etait un secret. C'est de cas de Jamel, tunisien de 42 ans arrivé à Grenoble en 1972. Fidèle client du Nicodème, il vient y manger depuis plus d'un an. Il est toujours la premier à se pointer sur le pas de la porte du restaurant, lorsque l'horloge sonne les douzee coups de midi.
" On mange équilibré, et ca ne me coute que 2,20 euros. C'est plus accessible que dans les snacks et en plus c'est meilleur!" me dit il, clope au bec.
Victimes de leur succès, la salle est presque toujours pleine. "On fait parfois presque 80 couverts en une heure et demie. Si ca continue, bientot, il va falloir songer à agrandir!" s'esclaffe la présidente.
En tout cas Nicodème, tant qu'on s'y relève les manches, c'est une affaire qui roule!
*
http://www.nicodeme.org
Castellane, Case-tes-chèvres*
20 septembre 2012/ Castellane.
"Ah beh si vous vous arrêtez à Castellane, ce sera mon destin", nous avait lancé Laurent, déjà des idées derrière la tête. Cet autostoppeur connaissait la région comme sa poche. Nous, on était partis à la roots pour faire passer le temps et voir un peu du pays. On l'avait ramassé au bord de la route et en une heure, il nous avait deja raconté toute l'histoire du Verdon. Ses habitants, ses histoires, sa faune et sa flore.
Forcément, on en avait de l'eau plein la bouche.
Alors on a tourné au virage, et le transporteur a acquiessé.
Une fois arrivée, on a flânés dans les p'tites ruelles colorées. Ca sentait deja la fin de saison, mais y'avait un chouette parfum de tranquilité...on s'est bu une bière, raconté deux trois conneries, et puis deja c'etait le moment de laisser notre ami dans les bras de sa blonde éphémère pour rejoindre le petit hameau de pierres qui nous attendait tout là haut.
Des chèvres. Un homme. Une histoire de paix. De tranquilité. Ou peut être même de solitude.
Jean Christophe est venu s'installer là il y a tellement longtemps que lui même ne sait meme plus à quand ça remonte. Il a tout bâtit de ses mains. Avec son courage et la sueur de son front. Son amour pour la terre, pour les bêtes, pour Pachamama.
(...)
Aux arts, Citoyens!*
11 mars 2012/ Paris.
C'était un de ces jours cotonneux comme quand tout vous parait si doux. « Tu vas adorer, tu verras! », me dit Colin. Et voila que je me retrouve dans un espace désert et complétement hors temps, au dessus de tous ces flots de bagnoles et de gens qui barroufent dans tout les sens. C'était une longue ligne toute droite, celle d'un vieux chemin de fer desafectée. Tellement infinie qu'on aurait dit la Eyre Highway.
La petite ceinture, c’est trente ans d’abandon total, avec même une interdiction d’accès – stipulé par un décret de 1942. Mais c’est clairement un lieu terriblement génial pour venir faire les cons et entreprendre toute sorte de projet farfelu. Lâcher ses envies quoi. Tag, graff, collages, dessins, expos d’objets de récupération, bref; entre le pont de la rue Manin et la rue de Crimée, l'endroit est devenu un vrai terrain d'expression artistique pour tous ceux qui veulent s'y piquer. Certains y passent leur temps, d’autres viennent s’y promener, seul, entre copains et même des fois avec le chien…
Nous trois, le nez en l'air et flairant l'inconnu, on a marché, marché, marché, jusqu'à débouler au niveau des buttes Chaumont sur un éspèce de jardin créatif coloré tout en objets de récup’. C’est un projet super bottant qui cherche à développer l’initiative citoyenne et la revalorisation de l’espace. Du top niveau!
On s’attarde un peu parce que nos yeux sont tout éblouis, et puis plus loin on se heurte à un obstacle un peu précoce: le noir. L’obscurité totale. Un tunnel quoi! "Eh ben on va se faire une p'tite session light painting tiens!" s'esclaffe Olive, avec la banane.
Le light painting, c'est l'art de faire des dessins dans le vide et dans l'obscurité, au briquet ou à la lampe torche en prenant une photo avec une vitesse d'absturation infinie dite "bulb".
Avec un peu d'imagination et un brin (surtout) de talent, on peut arriver à faire des trucs plutot chouettes! bon d'accord: dyslexiques, s'abstenir, car le dessin se déroule tout à l'envers. Donc quand on veut écrire des lettres, il faut bien réflechir à comment procéder avant de se lancer!
On commence par des choses basiques, un rond, une étoile...puis les gars se lancent dans des choses vachement plus compliquées (genre un poisson-chat, un un packman, un boa géant...)!
*
Et puis soudain, deux pélos se ramènent de nulle part, super envieux d'essayer. Ils dégainent un briquet, et dans un flot d'imagination se jettent à l'eau comme des canards. On aurait pas cru mais ils nous tapent des trucs sensas' ! coeur d'artichaud, le premier trace une équation pour son amoureuse type "N+C= coeur" . Raté! il a écrit à l'envers. Il recommence. Ah non! le coeur est pas beau. Il recommence encore. Et là, c'est super classe, ca lui plait. Il fait une photo de la photo avec son portable et l'envoie à sa meuf, aux anges. Le deuxième, moins BG mais pas antipatriotique pour un sou s'éxecute avec une rigueur inouie. ALGERIE. Ca lui sort des tripes. C'est un mot qu'il kiffe. C'est son pays, sa patrie. Sa femme à lui, c'est elle. D'ailleurs, pour lui, pas besoin d'entrainement, en une seule fois, c'est achevé dans un style propre et pur. On dirait qu'il a fait sa toute sa vie.
On a trop peur d'aller au bout du tunnel. Et puis mine de rien, il commence à cailler sévère. Allez les gars, on va se boire un chocolat chaud...!
*
http://projetpc19.wordpress.com
Mots pour Maux*
27 décembre 2009/ Chambéry.
Ils sont arrivés dans mon salon avec un gros bol de métal cuivré qu’ils ont disposé au centre de la ronde. Ils m’ont dit que ça s’appelait un bol tibétain. Dans un silence casi religieux, Anne a commencé a dessiner des cercles avec un baton, un peu comme quand on fait chanter un verre de cristal avec son doigt. Le bol s’est mis a chanter, de nulle part. La douce mélodie qui s'en dégageait est venu nous bercer comme dans un bain d'énergie nouvelle. C’était le même son que dans le néant.
« Dans mon métier de musicothérapeute, explique Anne, je pratique des massages sonores avec ces bols auprès des femmes enceintes qui me disent souvent que leur bébé aime car il réagit très joyeusement ! » Lorsqu’on le frotte avec une manchouille ou que l’on le frappe à la manière d’un gong, les vibrations qui se dégagent du bol sont tellement puissantes qu’elles apportent souvent un subit état d’hypnose et de grande sérénité. C'est une sensation de purification qui invite a creuser en nous et prendre une posture de méditation.
« Quelqu’un veut il essayer le massage sonore ? lance soudainement Jean Baptiste. Clément s'y jette. « Ca donne des frissons partout », dit il, émoustillé. Jean Baptiste agite un bol en vibration de part et d'autre de son corps, de la racine de ses pieds à la pointe de ses cheveux.
Anne explique alors: « Un jour un patient avait une douleur très aigue dans le dos. Je lui ai proposé un massage avec les sonorités des bols chantants. Après un temps, il me dit : « je n’aurais jamais cru que cela pouvait apaiser ma douleur !».
*
Les bols tibétains se rattachent à la culture pré-bouddhiste remontant à l'âge du bronze. Venus d'extrême Orient, via la Mongolie, ils auraient été introduits au Tibet par des forgerons nomades adeptes du Chamanisme. Aujourd’hui fabriqués au Népal, en Inde, au Bhutan et au Tibet, les bols sont traditionnellement constitués d'un alliage de 7 métaux représentant 7 planètes du Système Solaire : l'or (le Soleil), l'argent (la Lune), le mercure (Mercure), le cuivre (Venus), le fer (Mars), l'étain (Jupiter) et le plomb (Saturne). Chez les bouddhistes, ils sont utilisés avant la méditation pour apaiser l’esprit et harmoniser les chakras. Ils contiennent parfois des météorites ferreuses qui offrent au son une pureté vibratoire et une qualité spécifique les rattachant à la musique des sphères. Façonnés artisanalement, chaque bol produit un son dont le timbre, la hauteur, l’intensité et la durée est unique. On en trouve de toute taille et de toute forme.
Huayni, j'ai vu les étoiles*
13 Avril 2008/ La Paz.
Ca faisait maintenant huit mois que j'étais en Bolivie, coté brésilien, à Santa cruz. Ils ont débarqués, comme ça, en me disant "dépêches toi de nous rejoindre, on va se faire un sommet dans les Andes!" Ok. Le lendemain, je débarquais par airplane, toute fraîche, avec mes tongues et mon sac de fille, prête comme jamais à vivre l'aventure. A la Paz, c'est le big bang. Je me retrouve toute perdue au milieu de cette autre Bolivie, celle de l'ouest et des hauts plateaux, de ces gens non issus du métissage européen mais bel et bien d'un milieu froid et hostile, celui du pays des quechuas. Peau d'argile, petits, trapus, nez long et busqué, cheveux noir corbeau. Je suis clairement en terre inconnue. Même l'espagnol n'a rien a voir. Et puis ce vieux mal de tête imparable... J'avais zappé que la pression atmosphérique n'était pas la même, c'est vrai. 4000m de différence en terme de dénivelé. Le "ici" et "en bas" n'ont plus rien à voir.
Je les retrouve, ces bons vieux parents. Je les serre fort dans mes bras. Ils ont la patate et ils ne me parle que de ça. "C'est le Huayna Potosi. C'est un des 6000 m de la cordillère. On a trois jours pour relever le défi" me dit mon père. "On part demain". Allez. Après une bonne nuit de soroche (le fameux mal des montagnes andins) et pas mal d'allers et venus pour quicher dans la cuvette, je leur avoue que la force du tigre ne sera sans doute pas avec moi pour m'accompagner jusqu'au sommet.Tant pis.
*
Après avoir devalisé le magasin de location du matos d'alpi; on se dégote un super guide trop marrant qui a sans doute grandit avec un chevreuil et qui connait les Andes comme le fond de sa poche. Après deux-trois conneries et une galette dans le sceau supplémentaire, on part, tout doucement, tous les quatre, deja tout excités de toucher le ciel (dans la tête seulement.)
Pour bien s'acclimater et multiplier les globules rouges, l'éxpé se déroule sur deux temps. Une première ascension jusqu'au refuge (nous y passerons la nuit), puis une deuxième jusqu'au sommet en se levant biiiiien tôt (genre 1H30, vous pourrez jamais battre le record!).
La montée jusqu'au refuge est plutot courte mais y'a pas de quoi faire les malins. A 4500m d'altitude, l'oxygène est moins présent, et franchement, ça se sent. Avec mon père, on est tellement essouflés qu'on est obligés de s'arreter tous les 2Om. Dingue! j'ai l'impression d'etre une fumeuse active à fréquence quotidienne de 3 paquets/jour! Mais oui, quand on y pense, y'a de quoi s'étonner: on est bien plus haut que le Mont Blanc!!
A coté de cet horrible supplice, ma mère, légère et vive comme un cabri nous a tracé comme une flèche. Elle est deja tout en haut.
Au refuge, le froid est grandiose et la neige sublime. Je ne l'avais pas revue depuis plus d'un an. On partage un petite soupe avec quelques canadiens, des suisses, un couple de reunionnais totalement decalqué, des colombiens et des espagnols top délires. On se réchauffant comme on peut dans la petite pièce de bois en partagant nos joies et notre angoisse de gravir ce colosse d'Huayna.
A 18h30, on est deja tous au lit, comme des martyrs! On a la tête bien lourde malgré les médicaments et les infusions à la coca, mais la pression atmosphérique est infernale. Finalement, à une du matin, les guides nous réveillent déjà. Petit souci: papa est beaucoup trop faible. Il a passé une sale nuit, sans pouvoir fermer l'oeil à cause d'una barre terrible qui lui tamponne le front. Et des envies de vomir à s'en tordre de douleur...je ne l'ai jamais vu aussi mal. Du coup c'est vite vue, je reste avec lui. Et tant pis pour le Huayni, il m'attendra.
Pendant que je fais boire une énième tisane de coca à mon père (en esperant très humblement que les plantes peuvent faire passer le soroche), ma mère, cette grande championne se prépare seule avec Pedro. Je l'accompagne jusqu'au depart en lui faisant mes adieux comme si c'était la dernière fois que je la serrais dans mes bras. A 01h30, armés comme des boucs avec leurs piolets, leurs crampons et leur cordes, c'est une guirlande de petite lumières bleues et blanches que je vois s'envoler au loin dans les profondeurs de la nuit noire et l'immaculation des neiges éternelles, sous le regard serein d'une lune pleine, comme à la perfection. Je ne suis pas scénariste pour les Feux de l'amour, mais n'empêche qu'à ce moment là, j'avais comme une grosse boule au ventre et une envie de pleurer comme une potiche au mariage de sa meilleure amie.
Pendant quelques heures, on s'est retrouvés un peu seuls, mon père et moi. A attendre, sans rien faire, le retour des guerriers. ("Elle est où la télé ici?? t'as pas vu ma game-boy??"). Salpiqué d'étoiles d'une intensité lumineuse exrordinaire, le ciel ce soir là m'a mis des frissons comme j'en avais jamais eu. Je suis restée longtemps, je me souviens, très longtemps, à contempler le ciel, immobible, comme si les étoiles été à portée de main...
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06h00. Déjà l'aube se pointe. Et les guides, jumelles collées aux yeux attentifs crient soudain: "Ils sont là!". En effet, les premiers redescendent déjà, et on s'enthousiasme, ivres de bonheur quand on s'apercoit que ce sont Pedro et maman qui s'approchent du refuge, en tête, d'un pas sacréement dynamique, sans l'ombre d'une fatigue. On croit même deviner l'esquive d'un sourire. Si vous saviez combien on etaient fiers de pouvoir les féliciter, tous ces braves alpinistes. On les a serré fort dans nos bras comme s'ils revenaient de guerre! "Oye, que campeona tu madre!" me lancèrent les autres montagnards arrivés quelques heures plus tards, epuisés... "Hé oui, je sais, nananère!". Certains m'expliquent qu'ils n'ont pas pu aller jusqu'au bout, d'autres qui ont failli tomber dans une creuvasse, et d'autres encore qu'ils ont vomit tripes et boyaux en cours de chemin. L'altitude, c'est clair, devait être insupportable. Mais déjà je regrette de ne pas avoir accompagné ma mère dans cette fabuleuse et épique aventure..." T'inquiète pas fille, nous, on a déja un certain âge et on sait qu'aujourd'hui ça aura été la seule opportunité de réaliser ce reve, mais toi tu as toute ta vie pour grimper un 6000!" me rassurait ma mère, un sourire fatigué jusqu'au oreille.
Plus tard, de retour sur la Paz, nous avons fait les derniers achats, dernieres petites promenades dans la bruyante et inconditionnelle capitale économique de la Bolivie...Moi qui avais le blues les premiers jours avec l'envie de rentrer a St Cruz, a present je veux rester ici.
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